Pour changer le cours des choses ensemble

Il aura fallu six longues années pour que les ressources de type familial (RTF) et les ressources intermédiaires (RI) puissent obtenir un régime particulier de relations du travail qui leur reconnaisse ce droit fondamental qu’est le droit d’association et son corollaire, le droit à la négociation collective.

Six longues années, faites de hauts et de bas, pendant lesquelles le Regroupement des ressources résidentielles adultes du Québec (RESSAQ – CSD), épaulé en tout temps par la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), n’a jamais jeté la serviette. Malgré l’absence d’un cadre législatif permettant l’établissement d’un régime de rapports collectifs et conséquemment l’absence de mécanismes nécessaires à l’avancement de la cause des ressources, il s’est battu sans relâche pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, tout en maintenant leur volonté de se battre pour un avenir meilleur.

Le trésorier et responsable du dossier de la syndicalisation à la centrale, Serge Tremblay, considère qu’il s’agissait là d’un défi, que plus d’un aurait qualifié d’insurmontable. « C’est le genre de bataille que les syndicats menaient avant l’adoption du Code du travail. Elle est historique non seulement à cause de sa durée et des énergies qu’elle a demandées, mais surtout parce qu’elle a débouché sur une véritable innovation sociale, puisque la solution à laquelle elle a conduit sort du cadre des pratiques courantes. »

Mais, il n’est pas moins conscient qu’il reste encore pas mal de chemin à parcourir avant que les ressources puissent jouir de droits véritablement équivalents à ceux des autres salariés. C’est par le jeu de la négociation collective que ces « lacunes » pourront être comblées.

Des débuts sous l’égide du Code du travail

L’affiliation du RESSAQ à la CSD s’est effectuée au printemps 2003. À ce moment-là, les ressources bénéficiaient de la reconnaissance par le Tribunal du travail du statut de salarié au sens du Code du travail. Aussi, soutenu par la centrale, son personnel, ses membres qui militent à la syndicalisation, le RESSAQ – CSD a entrepris dans toutes les régions du Québec une vaste campagne – assemblées générales, porte à porte – afin d’une part de présenter aux ressources le projet de contrat social bâti avec la CSD et d’autre part de solliciter leur adhésion. À l’automne 2003, une quarantaine de requêtes en accréditation visant quelque 2 500 RI/RTF avaient déjà été déposées à la Commission des relations du travail (CRT).

Mais, l’adoption en décembre du projet de loi 7 change complètement la donne, en privant les ressources de leur droit d’association et de négociation collective. « Des milliers de personnes ont ainsi été dépouillées des droits qui leur avaient été récemment reconnus par le Tribunal du travail. Avec la nouvelle loi, elles se retrouvaient isolées, sans pouvoir de négociation et soumises à un mode de représentation qui ne leur permettait pas d’établir un véritable rapport de force, ce qui ouvrait la porte toute grande aux abus, à l’arbitraire », constate Serge Temblay.

Le projet de loi 7 avait mis en place des mécanismes de reconnaissance à l’égard des organismes représentatifs des ressources mais, là encore, le RESSAQ – CSD parce qu’il est affilié à une centrale syndicale, a reçu un traitement discriminatoire. « Le ministère a exigé que nous déposions par établissement les formulaires d’adhésion syndicale signées par les membres, alors que les autres organisations n’ont eu qu’à déposer une liste de leurs membres, dont plusieurs n’avaient même jamais signé de formulaire d’adhésion. Nos formulaires ont été scrutés à la loupe, leurs listes ont été acceptées sans l’ombre d’une vérification. Évidemment, nous avons protesté avec énergie, mais cela n’a rien donné. Ce n’était jamais les mêmes règles que pour les autres qu’on nous imposait », fait-il remarquer tout en soulignant que ce n’est que lors des témoignages entendus en Cour supérieure par la juge Grenier que ces faits ont été rendus publics. En juin 2004, le RESSAQ – CSD est reconnu par le ministre de la Santé et des services sociaux comme association représentative des RTF accueillant en résidence d’accueil neuf usagers ou moins et, un an plus tard, cette reconnaissance englobera les RI. C’est la seule organisation à obtenir cette reconnaissance telle que prévue dans la nouvelle loi, mais c’est loin d’être un laisser-passer pour la négociation d’une entente collective.

« Le ministre Couillard, et ses fonctionnaires ont été très catégoriques : il n’était nullement question de négocier, tout au plus d’échanger. Mais après seulement quatre rencontres, fini les échanges et aucune des demandes présentées par le RESSAQ – CSD n’a été retenue », souligne-t-il.

Il ajoute que l’adoption du projet de loi 7 laissait entrevoir une telle situation, car « comment, s’interroge-t-il, pouvait-on espérer une véritable négociation, puisque le ministre s’arrogeait le droit de conclure ou non une entente, avec le ou les organismes représentatifs qu’il aurait choisis. De plus, s’il y avait une entente de conclue, elle lierait toutes les ressources sans aucune distinction. Ce qu’on nous proposait, ce n’était rien qu’une parodie de négociation ».

Sur tous les fronts

Au niveau politique, le RESSAQ – CSD ne s’est pas laissé intimider. Il a continué la bataille, dénonçant le ministre Couillard, son simulacre de consultation comme son entêtement à refuser la négociation d’un contrat social, qui aurait permis de reconnaître aux ressources un véritable statut et de leur procurer des droits et une rétribution leur garantissant une meilleure qualité de vie, de négocier avec Québec d’égal à égal et de bénéficier de mécanismes de protection et de défense de leurs droits. « Les préoccupations humanistes qui nous animaient se buttaient continuellement aux impératifs comptables que défendait le gouvernement. C’était intolérable, inacceptable », lance-t-il.

Sur le terrain, la situation ne cessait de dégénérer. « Les ressources, qui militaient au sein du RESSAQ – CSD, étaient parfois victimes de pressions indues, de menaces, de représailles de la part des établissements publics sans compter les agissements douteux, abusifs de certains représentants du ministère. Durant toutes ces années de lutte, on a vécu des histoires d’horreur », affirme-t-il.

Chantage exercé par des représentants d’établissements publics, baisse du nombre d’usagers, avis de non-renouvellement du contrat d’adhésion sans aucune raison valable, fermeture de résidences, autant de pratiques qui vont à l’encontre « du respect, de la justice et de l’équité auxquels les ressources ont droit ».   Serge Tremblay évoque notamment le cas d’une personne, ressource depuis plus d’une trentaine d’années, qui a été menacée par un établissement public et a perdu son contrat d’adhésion. Elle militait activement pour le RESSAQ – CSD dans sa région. «Les représentants de l’établissement public ont monté contre elle un dossier cousu de fil blanc, il a fallu deux ans pour l’acculer au pied du mur. Ils lui ont alors proposé un marché, c’était à prendre ou à laisser : ils lui retiraient ses usagers, elle n’était plus reconnue comme ressource accréditée ou elle accueillait chez elle comme locataires les mêmes personnes dont hier l’établissement lui avait confié la charge. Ce qui représentait pour elle une perte importante de revenus. On lui a également proposé 10 000 $ si elle se taisait. C’était inique, mais elle a fini par accepter, elle était impuissante, complètement à la merci de l’établissement. Ce sont ces gens-là, sans droits, sans voix que le RESSAQ – CSD a décidé de défendre.»

Il enchaîne en faisant remarquer que « toutes les années passées sous l’égide de cette loi ne se sont soldées par aucun gain en termes de droit. Comme les ressources ne disposaient d’aucun pouvoir, il fallait jour après jour les soutenir, en multipliant les interventions auprès des établissements publics. La décision du Bureau international du travail (BIT), le jugement de la Cour supérieure, qui représentaient de grandes victoires, n’ont cependant eu aucun effet sur le quotidien des ressources. C’est avec l’adoption du projet de loi 49 que tout a commencé à changer. Les représentants des établissements publics ont commencé à prendre au sérieux les ressources et leur regroupement, ils leur témoignent plus de respect qu’auparavant, mais sans pour autant leur faciliter la tâche », d’expliquer Serge Tremblay.

Un pari osé

Le combat pour l’égalité et l’équité qu’ont entrepris les ressources guidées et épaulées par la CSD et le RESSAQ – CSD a été long, semé d’embûches, elles l’ont mené sans la protection de l’exercice du droit d’association que le Code du travail offre aux salariés, sans les outils qu’il met à leur disposition. À titre d’exemple, le Code prévoit que l’appartenance d’une personne à une organisation est secrète tant que dure le processus d’accréditation, il interdit également à un employeur de congédier ou de prendre des sanctions, d’user d’intimidation ou de menaces envers un salarié qui veut faire partie d’un syndicat ou participer à des activités syndicales.

Serge Tremblay est convaincu qu’il n’y avait pas de solution en dehors de la syndicalisation pour les ressources. C’était – et c’est encore – un pari osé, mais le RESSAQ – CSD n’était pas seul pour le relever, la CSD a mobilisé ses ressources, son personnel, a mis tout en œuvre au cours des dernières années afin de développer de nouvelles avenues, permettant de regrouper les ressources auxquelles les lois ne reconnaissaient pas un droit formel à la syndicalisation.

« Faisant preuve d’une détermination sans faille, les ressources ont adhéré au projet emballant que nous leur proposions, elles se sont donné les moyens de se faire entendre, de se faire respecter et, aujourd’hui, elles sont en train de s’affranchir du joug des établissements publics et de changer le cours des choses. C’est ça la force d’un regroupement », conclut-il.